dimanche 31 janvier 2016

Poursuivre la miséricorde sans justice
a ouvert la voie à la crise
des abus sexuels des enfants dans l'Église



par Edward Condon
Publié le jeudi, 28 janvier 2016


SOURCE : Catholic Herald

Dans l'Église de post-Vatican, les notions de crime et de justice n’avaient pas de place et les agresseurs étaient étiquetés comme étant des victimes

Le film Spotlight, qui est accessible au Royaume-Uni cette semaine, raconte l'histoire du travail du Journal Boston Globe dans son enquête sur le scandale des abus sexuels auprès des enfants dans cette ville. Il a reçu, ici et aux États-Unis, des critiques élogieuses et, à juste titre, nous fait revisiter les crimes horribles qui ont été commis et mis sous le couvert à Boston mais aussi dans de nombreux autres diocèses.

Pour les Catholiques, cela peut être l'occasion d’éprouver des sentiments mitigés : d'une part, tout le monde partage la rage et le dégoût qui est la seule réponse possible à ce pattern horrible d'abus et de déni qui a eu lieu dans de nombreux endroits. D'autre part, il y a une certaine résistance tribale que beaucoup d'entre nous sentons devant la description que les médias font à grands traits de l'Église que nous aimons et dont nous avons une expérience totalement différente, comme si c’était l’incarnation monolithique de l’hypocrisie et du mal. Aucun de ces sentiments n’est déraisonnable, ni sont-ils contradictoires.

Mes propres tentatives pour réconcilier les deux, en partie, m'a amené à mes études du droit canon et du droit pénal en particulier. Ce que je m’attendais d'apprendre était que le droit canon faisait partie du problème, que c’était le mécanisme qui a permis à ces crimes d’abuseurs d'enfants d'être ignorés, excusés et couverts. Ce fut un grand soulagement de découvrir que l'inverse était vrai ; les patterns relatifs aux abus et à leur dissimulation, vus de manière particulière à Boston et à Los Angeles, n’étaient pas un produit du droit canon, ni même de son abus du droit canon mais c’était une violation flagrante de celui-ci. Des modifications et des mises à jour étaient certes nécessaires au droit canon mais, de façon générale, la loi elle-même était solide et, si elle avait été suivie, nous n’aurions pas vu cet ensemble de tragédies que nous avons vues dans de nombreux endroits. Mais quand une loi peut être ignorée en toute impunité, aussi bonne intrinsèquement qu’elle peut être, ça crie à la réforme.

Le Pape Benoît XVI a fait un certain nombre de réformes canoniques à la lumière des scandales sur les abus sexuels des enfants et celles-ci étaient vraiment nécessaires. En plus de la mise à jour du code pénal de l'Église pour tenir compte des réalités modernes, comme la pornographie sur Internet, l'orientation générale des réformes de Benoît XVI visait à centraliser davantage le mécanisme par lequel l'Église devait porter son attention sur les crimes les plus graves, y compris la violence sexuelle. Les cas qui auraient pu être portés auparavant à l’attention du diocèse local pour leurs enquêtes initiales devaient maintenant être transmis à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) immédiatement et la CDF déterminerait quel genre de processus serait initié et qui le réaliserait. Ce fut une réponse nécessaire et directe à la simple omission de certains diocèses d'agir lorsque des allégations étaient faites.

Aux États-Unis, la Charte de Dallas a été adoptée par les Évêques ainsi qu'un ensemble de normes complémentaires canoniques qui, avec d'autres dispositions, a mis en place les commissions d'examen diocésaines afin de fournir une mesure de surveillance et d'indépendance au processus. Plus récemment, la Commission Pontificale pour la Protection des Mineurs a été fondée afin de poursuivre le processus de réforme et d'auto-examen au niveau universel. Pourtant, avec tous ces vrais efforts pour apprendre, pour réformer et pour éviter tout risque de récidive, il est clair que le travail est loin d'être terminé.

Dans une récente interview, Marie Collins, membre de la Commission Pontificale pour la Protection des Mineurs et elle-même victime dans le passé, considère les efforts qui sont en cours pour mettre en place de meilleures garanties et procédures à travers l'Église « désespérément lents » et a concédé que la réalisation de progrès mesurables à travers la bureaucratie du Vatican était une entreprise difficile. Cela est facile à croire mais les obstacles au progrès seront susceptibles d'être plus culturels et personnels qu'ils seront structurels. Je me souviens d’avoir assisté à une conférence canonique en 2014 ; à un certain point au cours des délibérations, j’ai entendu un Cardinal de la Curie se référer à la question des abus sexuels commis comme étant « une obsession anglo-saxonne » et je pense que cette surdité culturelle, si ce n’est pas de l'hostilité pure et simple, au sujet de l'urgence constante et de la gravité de cette question n’est pas ce même genre de réactions auxquelles le Cardinal Pell se heurte dans d'autres domaines de la réforme de la Curie.

Pendant ce temps, au niveau local, les commissions d'examen diocésaines, qui étaient destinées à s’assurer que les Évêques traitaient les cas conformément à la loi, ont dans certains endroits (mais malheureusement peut-être c’était à prévoir dans les diocèses qui ont été les plus touchés par des scandales d'abus), se sont transformées en ecclésiastiques arbitraires qui décident sommairement au sujet de prêtres innocents de leur retirer leur ministère, leurs noms étant ruinés publiquement à la moindre allégation de méfaits, aussi fantaisistes ou malveillants que ce soit.

L'ironie amère est qu’à la fois au niveau universel et local, il y a un échec commun à comprendre le besoin de justice ou à apprécier les risques associés de ne pas considérer la justice comme principe directeur dans la vie de l'Église.

La justice est une partie importante de la théologie et l'ecclésiologie Catholique. Souvent, elle est, à tort, définie dans la conscience populaire comme le contraire de la miséricorde. En fait, dans l'esprit de l'Église, elles sont inséparables ; Thomas d'Aquin a défini leur relation en disant que la justice sans miséricorde est cruauté, mais la miséricorde sans justice est mère de dissolution.

Le scandale des abus sexuels ecclésiastiques a été rendu possible grâce à une mentalité dominante, en particulier dans les années 1970 et 80, à savoir que les notions de crime et de justice n'avaient pas leur place dans l’Église post Vatican II. Les crimes d'abus ecclésiastiques ont été étiquetés comme des « luttes avec la chasteté » ainsi que des « problèmes mentaux » et il y avait une industrie artisanale entière de centres de thérapie et de cliniques qui étiquetaient utilement les agresseurs comme des victimes de leurs propres traumas, rejetant souvent la faute sur la méchante institution du célibat ecclésiastique ; et puis lorsque les prêtres abusifs étaient « réhabilités », on les renvoyait, certifiés et prêts pour le ministère. Cette approche, qui a été consciemment définie comme une façon « miséricordieuse » de traiter ces questions, a provoqué une froide illustration de la moquerie que la miséricorde peut devenir d’elle-même quand elle est découplée de la justice.

Il est peu probable que nous verrons jamais le Pape François proclamer une Année de la Justice mais, comme nous considérons l'Année de la Miséricorde, nous devrions conscients du revers de la médaille. Le film Spotlight nous est un rappel puissant que lorsque la justice est retirée de l'esprit de l'Église, ce qui reste alors, ce sont des abus : des faibles, de la foi et de la miséricorde.

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